Qu’est-ce qui fait qu’un jeu est bon? Quelle est la formule secrète et magique derrière les grands succès? Je suis récemment tombé sur un article datant de 2011 (https://magic.wizards.com/en/articles/archive/making-magic/ten-things-every-game-needs-part-1-part-2-2011-12-19) de Mark Rosewater, designer en chef de Magic The Gathering.

Mark y présente les 10 éléments d’un bon jeu. De la part de quelqu’un avec autant d’expertise en design de jeu, c’est du vrai bonbon. Ces 10 points pourraient pratiquer être utiliser comme grille d’analyse lors de l’évaluation des jeux par les médias.

Je vous propose de regarder ces 10 commandements du point de vue du Studio Locomuse et surtout voir si ces règles tiennent encore la route presque dix ans plus tard.

1. Objectif clair

« There needs to be a point for your game. What are your players trying to do? How do they win? »
– Mark Rosewater

Un jeu nécessite un ou des objectifs clairs. Qu’est-ce que les joueurs tentent d’accomplir? Comment est-ce qu’ils gagnent la partie? Cette règle est toujours d’actualité. La plupart des jeux à succès propose un but et une finalité claire. 

On doit être capable de résumer un jeu en quelques secondes et souvent ce résumé passe par l’objectif principal. Ce conseil est essentiel pour tous les jeux grands publics.

Par contre, depuis quelques années, on remarque une forte augmentation des jeux narratifs, contemplatifs et qui flirtent avec le jeu de rôle. Dans ce type de jeu, les objectifs à accomplir sont beaucoup moins clairs. 

“Vivre une expérience” n’est pas probablement pas encore un objectif assez clair pour les joueurs occasionnels mais de plus en plus d’experts sont à la recherche de nouvelles aventures dans le monde du jeu de table. 

Le jeu de société en est à ses débuts et je suis convaincu que plusieurs révolutions sont encore à venir. L’objectif clair, oui, mais pas au détriment d’une expérience unique.

2. Règles

There needs to be a list of what players are and are not allowed to do. Restrictions are an important part of a game. Accomplishing your goal shouldn’t be too easy.” – Mark Rosewater

Que serait les jeux de table sans règles. Le livret de règlements, sacré pour certain, effrayant pour d’autres est le coeur du jeu. Un jeu sans règle, c’est comme une société sans règle, c’est l’anarchie.

Reprenant la nomenclature du système ESAR (https://www.systeme-esar.org/systeme-esar/accueil/), le dernier niveau de jeu pour l’humain est : les jeux de règles. 

Les règles sont ce qui définit la manière dont on va accomplir notre objectif. Elles représentent les obstacles à franchir, mais aussi les bases sur lesquelles on s’entend. Elles permettent à tous les joueurs de partir sur un pied d’égalité et d’avoir les mêmes chances de remporter la partie.

Plus important encore, les règles sont le lien entre le jeu et les joueurs, les règles rendent le jeu possible. C’est comme si c’était une incantation qui permet d’invoquer le cercle magique autour du carton et du plastique.

Dans les dernières années, l’art d’écrire des règles et d’expliquer des jeux continue de se raffiner. Les auteurs, éditeurs et créateurs de contenus multiplient les manières d’apprendre un jeu. D’ailleurs, Professeur Board Game, une chaîne youtube québécoise (https://www.youtube.com/channel/UCsKrylY2g4-XOkVAQWkpv0g), se spécialise dans ce type de vidéo. 

Peu importe la direction que prendra la transmission des règles, elles resteront un élément essentiel d’un bon jeu.

3. Interaction

There needs to be some aspect of the game that encourages the players to react to one another. What does your game do to make the players interact?” – Mark Rosewater

L’interaction est un sujet très controversée au sujet de la qualité d’un jeu. Certains joueurs veulent s’engueuler avec leur amis alors que d’autres préfèrent jouer en silence sans être déranger. Certains joueurs aiment attaquer les autres et détruire leurs efforts alors que d’autres aiment mieux construire leur petite affaire et se comparer en fin de partie.

Bref, l’interaction recherchée n’est pas universelle et donc difficile à analyse. Pour répondre à cette question je vais paraphraser la philosophie du ludologue québécois Sylvain A. Trottier (https://www.facebook.com/ludologue/).

Pour analyser l’interaction, il ne faut pas analyser s’il y a de l’interaction ou sa forme mais plutôt si elle est appropriée au type de jeu. Est-elle bien dosée? Fait-elle du sens avec les mécaniques et la thématique. C’est en regardant cet angle qu’il sera possible de savoir si l’interaction est bonne ou non.

Ce qui veut dire que l’évaluation de l’interaction ne se fait pas de manière binaire (présente ou non), mais plutôt en fonction de plusieurs facteurs. 

Agricola ne serait pas le même jeu si on pouvait aller tuer les animaux d’un autre joueur tout comme Game of Thrones serait très différents si on ne pouvait pas attaquer. Ces exemples sont drastiques, mais permettent de voir que la quantité d’interaction n’est pas gage de succès. C’est plutôt la manière dont elle est intégrée qu’il faudra regarder.

L’interaction reste un point central dans l’univers des jeux de société. Ce n’est pas pour rien que l’on utilise le terme “société”. Se rassembler autour d’une table, entre amis, c’est avant tout pour interagir avec nos compères, c’est le moteur principal de ce hobby.

4. Mécanique de rattrapage

There needs to be a way for players that have fallen behind to catch up. A game becomes frustrating if a player feels like he or she has no chance to win.” – Mark Rosewater

Si on connait l’identité du gagnant avant la fin de la partie, la tension baisse et le jeu perd rapidement de son attrait. Si on sait que l’on a aucune chance de rattraper le meneur, pourquoi continuer à jouer si ce n’est que par politesse?

Lorsqu’on parle de “catch-up feature” on pense automatiquement à Mario Kart. C’est l’un des meilleurs exemples de ce type de fonctionnalités. Lorsque l’on est dans les dernières positions, notre kart va légèrement plus vite et surtout les objets que l’on obtient sont nettement meilleurs.

Même si je trouve important de conserver une tension jusqu’à la fin de la partie, c’est le type de jeu qui déterminera quel type de mécanique de rattrapage sera présente. Ce genre de mécanique est intéressant, mais dans un jeu comme les échecs, c’est totalement absurde. Pourtant les échecs est l’un des jeux les plus populaires sur la planète, au même titre que le Go ou le Poker.

Dans les jeux hautement compétitifs, la notion de rattrapage ne fait pas vraiment de sens. Alors que dans les jeux familiaux où des adultes peuvent jouer avec des enfants ou même lorsque l’on a envie de quelque chose de plus relaxe ça s’intègre mieux.

Au delà d’une mécanique de rattrapage, je crois que l’essentiel dans la plupart des jeux modernes c’est de laisser croire aux joueurs qu’ils peuvent toujours remporter la partie. Plusieurs jeux le fond en décomptant les points ou un partie des points seulement à la fin de la partie.

5. Inertie

There needs to be something in your game that moves it along towards completion. You have to have something built into your game that makes sure it ends.” – Mark Rosewater

Ce concept est un peu plus compliqué à saisir, mais on pourrait le résumer avec : La durée de la partie. 

Prenez quelques instants pour réfléchir à vos jeux favoris et aux bons jeux auxquels vous avez joué. La plupart ont quelque chose en commun, ils finissent toujours un peu trop tôt.

Un bon jeu doit se terminer un peu avant la fin 🙂 oui oui…Je veux dire par là qu’il est souvent souhaitable que les jeux se terminent avant le moment où les joueurs ont accompli tout ce qu’ils souhaitaient faire.

Donner le goût aux joueurs de rejouer, leur démontrer qu’ils n’ont pas tout vu du jeu. Ces jeux nous laisse sur notre faim et nous donne l’envie de le réessayer dès la fin de la partie.

D’ailleurs, c’est souvent l’erreur que l’on note chez les jeunes auteurs, des jeux trop longs. Ils veulent absolument que l’expérience soit épique et démesurée, mais il est plus facile de perdre l’intérêt d’un joueur que de le garder concentrer durant des heures.

Le hobby continue de se développer et jamais l’analyse de Rosewater n’aura été aussi juste. Les joueurs cherchent de plus en plus des jeux courts et dynamiques. Ils veulent pouvoir jouer plusieurs fois de suite ou encore à plusieurs jeux dans la même soirée.

Les auteurs et éditeurs s’adaptent très bien à cette réalité en créant des jeux engageants et denses, mais simples à apprendre. On parle souvent de la courbe du plaisir dans un jeu, les meilleurs jeux se terminent souvent quand la courbe est à son apogée et pas lorsqu’elle est en train de redescendre.